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Géopolitique

L'islamisme en Turquie

Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et sa femme Emine, saluant leurs supporteurs le 22 juillet 2007.
Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et sa femme Emine, saluant leurs supporteurs le 22 juillet 2007.

Dans les faits, l'État turc s'est construit grâce au rôle décisif de l'armée, du temps de son fondateur, Kemal Mustapha Atatürk, sur les vestiges mêmes du califat islamique. La société civile, néanmoins, a ­toujours bénéficié d'une large autonomie. C'est ce qui rend la Turquie si originale et si remarquable : la ­laïcité — idéologie officielle protégée par l'armée, mais arrimée à la démocratie — a permis l'émergence de l'islamisme en tant que force politique. C'est précisément grâce à la démocratie que l'islamisme turc est ­devenu une force représentative et non violente, contrairement à ce qui se passe en Irak, en Syrie et en ­Algérie. Dans ces pays, l'absence de démocratie et l'usage de la violence étatique ont créé un islamisme ­brutal et peu soucieux d'accéder au pouvoir par la voie électorale.

La force des islamistes se fait aussi sentir dans la sphère économique. Entrepreneurs et commerçants, tout imprégnés de l'éthique islamique, ils sont de véritables champions de la prospérité. Leur dynamisme se reflète par un taux de croissance de 7 %, qui pourrait frôler sous peu les 8,5 %. Cette prospérité a eu pour effet d'attirer les investissements étrangers (en 2006, ceux-ci ont atteint les 20 milliards de dollars). Cette richesse, soulignons-le, est relativement palpable dans un pays non pétrolier et non rentier, où l'inflation, chiffrée à 29 %, a chuté à 9 % depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2002!

Alors, pourquoi le monde musulman ne prendrait-il pas le modèle turc comme exemple d'une approche démocratique libérale? C'est une réponse éloquente à l'exigence d'être à la fois musulman et moderne! Cela pourrait également abolir la frontière idéologique perpétuelle entre l'islam et la démocratie, érigée par les courants islamistes traditionalistes et intégristes.

Bien avant d'en arriver là, toutefois, le gouvernement turc doit relever plusieurs défis. Il est primordial que les généraux se retirent du jeu politique : ce sont les islamistes, et non l'institution militaire, qui doivent devenir les vrais défenseurs de la démocratie. En ce sens, les islamistes turcs devraient juguler le problème kurde — surtout celui du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui figure sur la liste des ­organisations terroristes en Occident —, sans toutefois s'engouffrer dans une guerre asymétrique. La ­réconciliation entre Turcs et Arméniens serait un pas décisif vers la consolidation de la démocratie prônée par les islamistes. Cela accentuerait les chances de réaliser le rêve européen de la Turquie. Cela permettrait aussi à ce pays de maintenir le rôle de médiateur et de stabilisateur qu'il joue dans son voisinage régional (par exemple, au sein de la FINUL, déployée au Sud-Liban) et de poursuivre ses efforts en vue d'un rappro­chement entre Israël et la Syrie, et entre les Israéliens et les Palestiniens. Du succès ou de l'échec des islamistes turcs dépendrait donc le sort de la modernisation démocratique en Turquie et ailleurs dans le voisinage de ce pays.